George remonta

la rue très lentement, donnant partout le même message : Oui, elle vit encore. Mais le pronostic n’est pas bon. Il n’y a plus beaucoup d’espoir. Non elle n’a rien dit. Vous devriez rentrer chez vous. S’il arrive quelque chose, on vous préviendra.

Lorsqu’ils arrivèrent au coin de la rue ils accélérèrent en prenant la direction de l’hôpital. Le grondement de leurs motos résonna entre les maisons avant de s’évanouir.

Les gens ne rentrèrent pas chez eux. Ils restèrent là quelque temps, reprirent leurs conversations, pesèrent et soupesèrent le moindre mot que George avait prononcé. Pronostic, qu’est-ce que ça veut dire ? Coma. La mort du cerveau. Si son cerveau est mort, c’est fini. Inutile d’attendre qu’elle parle. Autant espérer qu’une boîte de petits pois se mette à causer. Peut-être, s’il s’agissait d’une situation naturelle, mais il n’y a plus grand-chose de naturel ces temps-ci, vous ne croyez pas ?

Ils se rassirent. La nuit tomba. Les lampes Coleman s’allumèrent dans la maison où la vieille dame attendait la mort.

Ils allaient rentrer chez eux plus tard, chercher longtemps le sommeil.

Et l’on se mit à parler avec hésitation de l’homme noir. Si mère Abigaël mourait, est-ce que cela voulait dire qu’il était le plus fort ?

Qu’est-ce que tu veux dire : « Pas nécessairement » ?

Pour moi, c’est Satan, purement et simplement.

L’Antéchrist, voilà ce que je pense, moi. Nous sommes en train de vivre l’Apocalypse… c’est bien clair. Allez et versez sur la terre les sept coupes de la fureur de Dieu… Pour moi, c’est clair comme de l’eau de roche que l’apôtre Jean voulait parler de la super-grippe.

Des conneries, tout ça, on disait bien que Hitler était l’Antéchrist.

Si ces rêves reviennent, je vais me tuer.

Dans le mien, je me trouvais dans une station de métro et il était le poinçonneur, mais je ne pouvais pas voir sa figure. J’avais peur. Je me suis mis à courir dans le tunnel, et je l’ai entendu, lui, qui courait après moi. Et il me rattrapait.

Dans le mien, je descendais à la cave chercher un pot de confiture aux fraises et j’ai vu quelqu’un debout à côté de la chaudière… simplement une forme. Mais j’ai su que c’était lui.

Les grillons commençaient à chanter. Les étoiles s’allumaient dans le ciel. On parla un peu de la fraîcheur de l’air. On continua à boire. Pipes et cigarettes rougissaient dans le noir.

J’ai entendu dire que les types de l’électricité ont commencé à éteindre les appareils électriques.

Tant mieux. Si on n’a pas bientôt de la lumière et de la chaleur, ça va être un sacré problème.

Murmures de lèvres invisibles dans l’obscurité.

J’ai l’impression que nous sommes en sécurité pour l’hiver. Presque sûr. Impossible qu’il traverse les cols. Trop de neige, trop de voitures un peu partout. Mais au printemps…

Suppose qu’il ait quelques bombes A ?

Je m’en tamponne de tes bombes A.

S’il avait quelques-unes de ces saletés de bombes à neutrons ? Ou les sept coupes de l’Apocalypse ?

Ou des avions ?

Qu’est-ce qu’on devrait faire ?

Je ne sais pas.

Moi non plus.

Pas la moindre idée.

Creuse un trou, saute dedans et rebouche tout.

Vers dix heures, Stu Redman, Glen Bateman et Ralph Brentner firent le tour des groupes, parlant à voix basse, distribuant des circulaires, demandant à tout le monde de donner le mot à ceux qui n’étaient pas là ce soir. Glen boitait un peu, car un bouton de la cuisinière électrique lui avait arraché un bout de viande au mollet droit. ASSEMBLÉE DE LA ZONE LIBRE

AUDITORIUM MUNZINGER 4 SEPTEMBRE 20 HEURES.

Ce fut le signal du départ. Les gens s’éloignèrent silencieusement dans la nuit. La plupart emportèrent avec eux leurs circulaires, mais quelques-uns les froissèrent et les jetèrent dans le caniveau. Tous rentrèrent chez eux pour dormir un peu.

Ou peut-être rêver.

L’auditorium

était plein à craquer mais extrêmement silencieux lorsque Stu ouvrit la séance le lendemain soir. Larry, Ralph et Glen étaient assis derrière lui. Fran avait essayé de se lever, mais son dos lui faisait encore trop mal. Peu superstitieux, Ralph lui avait bricolé une installation pour qu’elle écoute les débats sur un walkie-talkie.

– Nous devons parler de plusieurs choses, dit Stu avec un calme étudié. Je suppose que tout le monde a entendu parler de l’explosion qui a tué Nick, Sue et les autres. Je suppose que tout le monde sait aussi que mère Abigaël est revenue. Nous devons parler de tout ça, mais nous voulions d’abord vous donner de bonnes nouvelles. Je vais donner la parole à Brad Kitchner. Brad ?

Brad s’avança vers le podium, beaucoup moins nerveux que l’avant-veille. Des applaudissements distraits le saluèrent. Arrivé sur l’estrade il se retourna vers le public, empoigna le micro à deux mains et dit simplement :

– Nous aurons de l’électricité demain.

Cette fois, les applaudissements furent nettement plus nourris. Brad leva les bras, mais les applaudissements ne voulaient pas cesser. Ils durèrent encore au moins trente secondes. Plus tard, Stu dit à Frannie qu’en d’autres circonstances Brad aurait probablement été porté en triomphe comme un footballeur qui vient de marquer le but décisif du championnat dans les trente dernières secondes du match. On était si près de la fin de l’été que Brad avait effectivement réussi de justesse. Les applaudissements finirent cependant par s’éteindre.

– Nous allons tout remettre en marche à midi et je voudrais que tout le monde soit chez soi. Pourquoi ?

Pour quatre choses. Écoutez-moi bien s’il vous plaît, c’est important. Premièrement, chez vous, éteignez les appareils électriques et les lumières. Deuxièmement, faites la même chose dans les maisons vides à côté de la vôtre. Troisièmement, si vous sentez une odeur de gaz, fermez tous les appareils qui pourraient être en marche. Quatrièmement, si vous entendez une sirène de pompiers, dirigez-vous vers l’endroit d’où vient le bruit… mais allez-y doucement, sans vous précipiter. Ce n’est pas le moment de vous casser le cou dans un accident de moto. Des questions ?

Plusieurs questions furent posées, toutes déjà couvertes par ce que venait de dire Brad. Il y répondit patiemment.

Le seul signe de nervosité qu’on pouvait déceler en lui était qu’il ne cessait de torturer son petit carnet noir.

Quand plus personne n’eut de question à poser, Brad reprit la parole : – Je voudrais remercier tous ceux qui se sont donné un mal de chien pour faire repartir la centrale. Et je voudrais rappeler au comité de l’énergie électrique qu’il n’a pas terminé son travail. Des lignes vont casser, on va avoir des pannes. Il faudra aussi aller chercher du mazout à Denver. J’espère que vous continuerez tous à donner un coup de main. M. Glen Bateman dit que nous pourrions être dix mille quand la première neige va tomber et beaucoup plus encore au printemps prochain. Il faudra remettre en service les centrales de Longmont et de Denver avant la fin de l’année prochaine…

– Pas la peine si le cinglé débarque ! cria quelqu’un au fond de la salle.

Pendant un moment, ce fut un silence de mort. Le teint cireux, Brad se cramponnait au micro. Il ne va pas pouvoir terminer, pensa Stu. Puis Brad reprit, d’une voix étonnamment posée : – Moi, je m’occupe de l’électricité.

C’est tout ce que je peux répondre à celui qui vient de dire ça. Mais j’ai bien l’impression que nous serons ici longtemps après que cet autre type sera mort et enterré. Si je pensais le contraire, je m’amuserais à faire des bobinages dans son camp. Mais j’en ai rien à foutre de cette merde de type !

Brad descendit du podium. Quelqu’un hurla dans la salle :

– T’as drôlement raison !

Cette fois, les applaudissements crépitèrent furieusement, presque sauvages, mais Stu y décela une note qui ne lui plut pas beaucoup. Et il dut se servir plusieurs fois de son marteau de président pour obtenir le silence dans la salle.

– Le point suivant de l’ordre du jour…

– On s’en tamponne de ton ordre du jour ! hurla une jeune femme d’une voix stridente. Il faut parler de l’homme noir ! Il faut parler de Flagg ! On attend depuis trop longtemps !

Rugissements d’approbation. Quelques cris de protestation. Des murmures aussi, à propos du vocabulaire de la jeune femme.

Stu frappa si fort sur la table que la tête de son marteau vola en l’air.

– Nous sommes en assemblée !

cria-t-il. Vous pourrez dire tout ce que vous voulez, mais tant que je préside cette assemblée, je veux… je veux… de l’ORDRE !

Il cria si fort le dernier mot que les haut-parleurs se mirent à siffler partout dans l’auditorium.

– Et maintenant, reprit Stu, d’une voix grave et calme, il faut vous informer de ce qui s’est passé chez Ralph dans la nuit du 2 septembre. Je pense que c’est à moi de le faire, puisque vous m’avez élu pour maintenir l’ordre dans la ville.

Le silence était revenu mais, comme les applaudissements qui avaient salué la fin de l’intervention de Brad, ce silence n’était pas du goût de Stu. Les gens se penchaient en avant, tendus, avides.

Et Stu se sentait nerveux, déconcerté, comme si la Zone libre avait changé radicalement en quarante-huit heures et qu’il ne sût plus vraiment ce qu’elle était. Il se sentait comme ce jour où il cherchait la sortie du Centre épidémiologique de Stovington – comme une mouche qui se débat dans la toile d’une araignée invisible. Tant de visages inconnus dans cette salle, tant d’étrangers…

Mais ce n’était pas le moment d’y penser.

Il raconta brièvement les événements qui avaient précédé l’explosion, sans parler cependant du pressentiment que Fran avait eu à la dernière minute ; dans l’état d’esprit où ils étaient, inutile de leur en dire plus qu’il ne fallait.

– Hier matin, Brad, Ralph et moi, nous sommes allés fouiller dans les décombres pendant plus de trois heures.

Nous avons trouvé ce que nous croyons être les restes d’une bombe artisanale branchée à un walkie-talkie. Les bâtons de dynamite étaient probablement cachés dans le placard du salon. Bill Scanlon et Ted Frampton ont trouvé un autre walkie-talkie au cirque Sunrise. Nous supposons que l’explosion a été télécommandée de là-bas. C’est…

– Au cul, les suppositions !

hurla Ted Frampton à la troisième rangée. C’est ce salaud de Lauder et sa petite putain !

Un murmure courut dans la salle.

Et ce sont les bons ? Ils se foutent comme de l’an quarante de Nick, de Sue, de Chad et des autres. Ils sont déchaînés, ils ont soif de sang, ils ne pensent qu’à attraper Harold et Nadine pour les pendre… comme un porte-bonheur contre l’homme noir.

Ses yeux rencontrèrent ceux de Glen. Le professeur haussa imperceptiblement les épaules avec un petit sourire cynique.

– Si quelqu’un se met encore à crier sans avoir la parole, je suspends la séance et vous n’aurez qu’à discuter dans votre coin. Nous ne sommes pas à la foire. Si nous ne respectons pas le règlement, où allons-nous ?

Ted Frampton le regardait, furieux, mais Stu soutint son regard. Au bout d’un moment, Ted baissa les yeux.

– Nous soupçonnons Harold Lauder et Nadine Cross. Nous avons de bonnes raisons de le faire, mais nous n’avons découvert aucune preuve formelle, et j’espère que vous ne l’oublierez pas.

Une vague de murmures monta, puis retomba.

– Si je vous dis cela, c’est que s’ils revenaient dans la Zone, je veux qu’on me les amène. Je les mettrai en taule et Al Bundell s’occupera d’organiser le procès… un procès, c’est-à-dire qu’ils pourront donner leur version de l’histoire, s’ils en ont une. Nous… nous sommes censés être les bons. Nous savons tous où sont les méchants. Si nous sommes les bons, nous devons nous comporter comme des gens civilisés.

Il les regarda, plein d’espoir, mais ne vit devant lui que de l’étonnement, de la colère. Stuart Redman venait de voir deux de ses meilleurs amis voler jusqu’en enfer, disaient ces yeux, et il prenait parti pour les coupables.

– Je pense que Harold et Nadine ont fait le coup. Mais nous devons faire les choses comme il faut. Et je suis là pour ça.

Plus de mille paires d’yeux le transperçaient. Et derrière ces yeux, il devinait la même pensée : Mais qu’est-ce que c’est que cette connerie ? Ils sont partis. Ils sont partis à l’ouest. Et tu fais comme s’ils étaient partis en forêt regarder les petits oiseaux.

Stu avait la gorge sèche. Il se versa un verre d’eau. Son goût insipide lui fit faire la grimace.

– C’est tout pour le moment, reprit-il avec lassitude. Nous devrons nommer de nouveaux membres pour le comité. Nous n’allons pas nous en occuper ce soir, mais vous devriez tous y réfléchir…

Une main se leva dans la salle.

– Allez-y, dit Stu. Donnez votre nom pour que tout le monde sache qui vous êtes.

– Je m’appelle Sheldon Jones, répondit un homme en chemise de laine. Pourquoi ne pas s’en occuper ce soir ?

Moi, je propose Ted Frampton.

– Je suis d’accord ! hurla Bill Scanlon. Magnifique !

Ted Frampton leva les mains au-dessus de sa tête comme un boxeur. Quelques applaudissements clairsemés s’élevèrent.

Et Stu sentit à nouveau le découragement s’emparer de lui. Ils allaient remplacer Nick Andros par Ted Frampton ? La plaisanterie n’était vraiment pas très drôle. Ted avait tâté quelques jours du comité de l’énergie électrique mais il avait trouvé qu’il y avait trop de travail. Ensuite, il était passé au comité des inhumations qui semblait mieux lui convenir. Mais Chad avait dit à Stu que Ted était un de ces types parfaitement capables de prolonger d’une bonne heure une pause-café et de transformer un déjeuner en un congé d’une demi-journée.

Hier, il s’était empressé de partir avec les autres à la recherche de Harold et de Nadine, sans doute pour se changer les idées. Scanlon et lui étaient tombés sur le walkie-talkie par pur hasard (ce que Ted avait d’ailleurs reconnu), mais depuis, Ted se prenait un peu pour le coq du poulailler.

Une fois de plus le regard de Stu croisa celui de Glen et Stu vit une lueur cynique dans les yeux du professeur, confirmée par la moue méprisante qu’esquissait sa bouche : C’est peut-être le moment d’utiliser un petit truc à la Harold.

Un mot que Nixon avait utilisé bien souvent lui revint tout à coup à l’esprit. Il comprenait maintenant la raison de son découragement, la raison de cette incertitude qu’il sentait l’envahir.

Et ce mot était « mandat ». Ils n’avaient plus de mandat. Leur mandat s’était envolé deux jours plus tôt, dans un éclair et un rugissement de tonnerre.

– Tu sais peut-être ce que tu veux, Sheldon, reprit-il. Mais je suppose que les autres voudraient avoir le temps d’y réfléchir. Je pose la question. Ceux parmi vous qui veulent élire deux nouveaux représentants ce soir, levez la main.

De nombreuses mains se levèrent.

– Ceux qui voudraient avoir une semaine pour y réfléchir, levez la main.

Cette fois, les mains furent plus nombreuses, mais pas beaucoup. Beaucoup s’étaient abstenus, comme si la question ne les intéressait pas.

– D’accord, nous allons nous réunir ici, dans l’auditorium Munzinger, dans une semaine, le 11 septembre, pour recevoir les candidatures et élire deux nouveaux membres du comité.

Pas terrible comme épitaphe, Nick.

Je regrette.

Le docteur Richardson est ici pour vous parler de mère Abigaël et des personnes qui ont été blessées dans l’explosion. Doc ?

Richardson s’avança au milieu d’applaudissements nourris. Il essuya ses lunettes, puis annonça que l’explosion avait fait neuf morts, que l’état de trois blessés était encore critique que deux étaient dans un état grave et huit dans un état satisfaisant.

– Compte tenu de la

puissance de l’explosion, je crois que nous avons eu de la chance. Et maintenant, mère Abigaël.

Ils se penchèrent tous pour mieux l’entendre.

– Je pense qu’une

déclaration très courte et une brève explication devraient suffire. La déclaration est celle-ci : je ne peux rien faire pour elle.

Un murmure parcourut la foule. Les gens étaient déçus, mais pas vraiment surpris.

– Des membres de la Zone qui étaient ici avant son départ m’ont dit qu’elle affirmait avoir cent huit ans. Je ne peux pas le confirmer formellement, mais c’est certainement la personne la plus âgée que j’aie jamais vue et soignée. On me dit que son absence a duré deux semaines, et suppose – je devine – qu’elle a dû très mal manger pendant tout ce temps-là. Racines, herbes, ce genre de choses. Elle n’a été qu’une seule fois à la selle depuis son retour, reprit-il après une pause. Les matières fécales, très peu abondantes, contenaient beaucoup de brindilles et de petits bâtonnets.

– Mon Dieu, murmura quelqu’un, sans qu’on puisse savoir si la voix appartenait à un homme ou à une femme.

– L’un de ses bras présente de multiples lésions cutanées causées par le sumac vénéneux. Ses jambes sont couvertes d’ulcérations qui suppureraient certainement si son état n’était pas si…

– Hé ! Vous allez

encore continuer longtemps ? hurla Jack Jackson, blanc, furieux, misérable.

Vous ne pourriez pas la respecter un peu ?

– Il n’est pas question de respect ici, Jack. Je ne fais que vous décrire son état. Elle est dans le coma, elle souffre de malnutrition, et surtout elle est très, très âgée. Je pense qu’elle va mourir. S’il s’agissait de quelqu’un d’autre, je dirais que c’est absolument sûr et certain. Mais… comme vous tous, j’ai rêvé d’elle. D’elle et de l’autre.

Un murmure dans la salle, comme une brise passagère, et Stu sentit les poils de sa nuque se hérisser.

– Pour moi, des rêves aussi opposés me paraissent être de nature mystique, reprit George. Le fait qu’ils nous soient communs à tous semblerait indiquer un phénomène d’ordre télépathique, au minimum. Mais je ne m’étendrai pas sur la parapsychologie ni sur la théologie, pas plus que je ne parle de respect, et pour la même raison : je ne suis pas compétent dans ces domaines. Si cette femme est envoyée par Dieu, Il peut décider de la guérir. Mais moi, j’en suis incapable. J’ajouterai que le fait qu’elle soit encore vivante me paraît être une sorte de miracle. Voilà ce que je voulais dire. Des questions ?

– Aucune. Ils le regardaient, bouleversés. Certains pleuraient.

– Merci, dit George qui retourna s’asseoir dans un océan de silence.

– C’est à vous, murmura Stu à l’oreille de Glen.

Très à l’aise, Glen s’approcha du podium sans se présenter et se pencha vers le micro.

– Nous avons parlé de beaucoup de choses, mais pas de l’homme noir.

À nouveau ce murmure. Plusieurs firent instinctivement le signe de la croix. Près de l’allée gauche une vieille femme effleura rapidement ses yeux, sa bouche et ses oreilles en une étrange imitation du geste que faisait Nick Andros, avant de recroiser ses mains sur son gros sac de cuir noir.

– Les membres du comité ont abordé la question à huis clos, continuait Glen d’une voix calme et neutre, et nous nous sommes demandé si nous devions l’aborder en public. On a dit que personne dans la Zone ne semblait vraiment vouloir qu’on en parle, pas après ces cauchemars que nous avons tous eus en venant ici. Qu’il nous fallait peut-être une période de récupération. Mais je crois que le moment est venu d’aborder la question. De la mettre en pleine lumière, pour ainsi dire. Vous avez tous entendu parler des portraits-robots qu’utilisent les services de police pour identifier les criminels à partir de différents témoignages. Dans le cas qui nous occupe, nous n’avons pas de visage, mais nous disposons d’une série de souvenirs qui constituent au moins une esquisse de ce qu’est notre Antagoniste.

J’en ai parlé à de nombreuses personnes et je voudrais maintenant vous présenter mon portrait-robot.

Un instant de silence.

– L’homme semble s’appeler Randall Flagg, même si certains lui donnent le nom de Richard Frye Robert Freemont et Richard Freemantle. Les initiales R. F. pourraient avoir une signification mais, si c’est le cas, aucun des membres du comité de la Zone libre ne sait ce qu’elles veulent dire. Sa présence – au moins dans les rêves –produit une sensation d’inquiétude, d’angoisse, de terreur, d’horreur. On m’a dit et répété que la sensation physique qui est associée à lui est celle du froid.

Nombreux hochements de tête. Un bourdonnement nerveux de conversations s’éleva. Stu eut l’impression de petits garçons qui viennent de découvrir le sexe, qui comparent leurs expériences et qui découvrent tout énervés qu’ils placent tous le réceptacle à peu près au même endroit. Il mit sa main devant sa bouche pour dissimuler son sourire et se dit qu’il faudrait absolument en parler plus tard à Fran.

– Flagg est à l’ouest, reprit Glen. Certains l’ont « vu » à Las Vegas, d’autres à Los Angeles, à San Francisco, à Portland. Certains – dont mère Abigaël – prétendent que Flagg crucifie ceux qui s’écartent du droit chemin. Tous paraissent croire qu’une confrontation se prépare entre cet homme et nous, et que Flagg n’hésitera devant rien pour nous abattre. Ce qui veut dire bien des choses. Blindés. Armes nucléaires. Peut-être… une épidémie.

– Attends que j’mette la main sur ce sale porc ! cria Rich Moffat d’une voix perçante. C’est moi qui vais lui en foutre une sacrée bonne dose d’épidémie !

Des éclats de rire saluèrent son intervention et Rich salua la salle. Glen souriait. Il avait passé le mot à Rich une demi-heure avant l’assemblée, et Rich s’en était admirablement bien tiré. Le vieux prof avait raison sur un point, découvrait Stu : dans une grande réunion, il est souvent utile d’avoir étudié la sociologie.

– Bien. Je viens de vous dire ce que j’ai appris de lui. Une dernière chose : je crois que Stu a raison de vous dire que nous devons traiter Harold et Nadine d’une manière civilisée si nous mettons la main dessus, mais comme lui, je ne pense pas que ce soit probable. Et je crois moi aussi qu’ils ont fait ce qu’ils ont fait sur les ordres de Flagg.

Les mots du professeur résonnaient dans la salle.

– Il faut nous occuper de cet homme. George Richardson vous a dit que le mysticisme n’est pas son domaine. Ce n’est pas le mien non plus. Mais je peux vous dire ceci : je pense que cette vieille femme qui est en train d’agoniser représente les forces du bien, de la même manière que Flagg représente les forces du mal. Je pense que la puissance qui dirige cette femme s’est servie d’elle pour nous rassembler ici. Je n’imagine pas que cette puissance veuille nous abandonner. Peut-être devrions-nous en parler, peut-être devrions-nous dire ce que nous avons sur le cœur à propos de ces cauchemars. Peut-être devrions-nous commencer à penser à ce que nous allons faire à propos de cet homme. Une chose est sûre : il ne pourra pas arriver tout simplement dans cette Zone au printemps prochain pour s’en emparer, il ne le pourra pas si nous sommes tous prêts à monter la garde. Je rends la parole à Stu qui va diriger la discussion.

Sa dernière phrase se perdit dans un tonnerre d’applaudissements et Glen retourna s’asseoir, très satisfait. Il leur avait fouetté les sangs… ou était-il plus exact de dire qu’il avait fait vibrer leur corde sensible ? Aucune importance en vérité. Ils n’avaient pas vraiment peur, c’était surtout de la colère qu’ils ressentaient. Ils étaient prêts à relever un défi (même s’ils risquaient d’être un peu moins ardents en avril prochain, lorsqu’un long hiver les aurait refroidis)… et surtout, ils étaient prêts à parler.

Pour parler, ils le firent pendant les trois heures qui suivirent. Certains partirent à minuit mais pas beaucoup. Comme Larry l’avait prévu, rien de bien concret ne sortit de la réunion. Quelques propositions plutôt folles : un bombardier et/ou des armes nucléaires pour la Zone, une conférence au sommet, un commando d’intervention.

Très peu d’idées pratiques.

Durant la dernière heure, beaucoup racontèrent leurs cauchemars sans que les autres paraissent se fatiguer de ces récits. Stu se souvint une fois encore de ces interminables discussions sur le sexe auxquelles il avait participé (surtout comme auditeur du temps de son adolescence.

Glen était étonné et fort encouragé de voir qu’ils étaient de plus en plus disposés à parler, de constater que la morne indifférence du début de l’assemblée s’était maintenant transformée en une atmosphère chargée d’excitation. Une catharsis collective, trop longtemps attendue, se produisait enfin. Et lui aussi pensa au sexe, mais d’une manière différente. Ils parlent comme des gens, pensa-t-il, qui ont trop longtemps gardé pour eux leurs petits secrets, leurs culpabilités, leurs insuffisances, pour découvrir ensuite, lorsqu’ils les verbalisent, que ces choses ne sont pas aussi épouvantables qu’ils le croyaient. En récoltant au cours de ce débat marathon la terreur secrète semée dans le sommeil, cette terreur se laissait apprivoiser un peu… peut-être même pouvait-elle se laisser conquérir.

L’assemblée prit fin à une heure et demie et Glen sortit avec Stu, heureux pour la première fois depuis la mort de Nick. Il sentait qu’ils venaient de faire les premiers pas vers ce champ de bataille qui les attendait.

Et il était rempli d’espoir.

L’électricité

revint le 5 septembre, comme Brad l’avait promis.

La sirène installée sur le toit du palais de justice se mit à hurler, semant la panique parmi les gens qui se promenaient dans la rue et qui levèrent les yeux vers le ciel d’un bleu limpide, persuadés qu’ils allaient voir apparaître les avions de l’homme noir. Certains coururent se réfugier dans leurs caves où ils restèrent jusqu’à ce que Brad découvre qu’un interrupteur défectueux avait fait partir la sirène. Penauds, les gens sortirent de leurs abris.

Un incendie fut causé par un court-circuit, rue Willow. Une dizaine de pompiers volontaires accoururent sur les lieux et le maîtrisèrent rapidement. Le couvercle d’un transformateur souterrain sauta à plus de dix mètres de haut à l’angle de Broadway et de Walnut avant de retomber sur le toit d’un magasin de jouets comme la pastille d’un gigantesque jeu de puce.

Il n’y eut qu’une seule victime durant cette journée que la Zone allait appeler plus tard le Jour de l’électricité.

Pour une raison inconnue, un atelier de carrosserie automobile explosa rue Pearl. Rich Moffat était assis sur le trottoir d’en face une bouteille de Jack Daniel’s dans sa sacoche de livreur de journaux. Un morceau de tôle ondulée le tua sur le coup, mettant un point final à sa carrière de briseur de vitrines.

Stu était avec Fran lorsque les tubes fluorescents se mirent à bourdonner au plafond de la chambre d’hôpital. Il les regarda clignoter, clignoter, clignoter, puis s’allumer enfin. Et il resta à les regarder près de trois minutes, incapable de détourner les yeux. Quand il se retourna vers Frannie, elle avait les yeux remplis de larmes.

– Fran ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as mal ?

– Nick, ça me fait tellement de peine que Nick ne soit pas là pour voir la lumière. Prends-moi dans tes bras, Stu. Je veux prier pour lui si je peux. Je veux essayer.

Il la prit dans ses bras, mais il ne sut pas si elle priait ou non. Soudain, il sentit que Nick lui manquait beaucoup et que sa haine pour Harold Lauder n’avait fait que grandir. Fran avait raison. Harold n’avait pas seulement tué Nick et Sue, il leur avait volé leur lumière.

– Chhhut, Frannie. Chhhut.

Mais elle pleura longtemps. Quand elle s’arrêta enfin, il appuya sur un bouton pour soulever son lit et alluma la lampe de chevet pour qu’elle puisse lire.

Stu sentit qu’on

le secouait. Il se réveilla, mais il lui fallut longtemps pour sortir totalement de son sommeil. Son esprit passait lentement en revue une liste apparemment interminable des personnes qui pouvaient vouloir le priver de son sommeil. Sa mère qui lui disait qu’il était temps de se lever, d’allumer le poêle et de s’habiller pour l’école. Manuel, le videur de ce minable petit bordel de Nuevo Laredo qui lui disait qu’il en avait eu pour ses vingt dollars et qu’il devait allonger encore vingt biftons s’il voulait rester toute la nuit. Une infirmière en combinaison spatiale qui voulait lui faire une prise de sang et un prélèvement dans la gorge. Frannie.

Randall Flagg.

Ce dernier nom le réveilla comme une douche d’eau froide. Mais ce n’était pas lui, ni les autres. C’était Glen Bateman, accompagné de Kojak.

– Vous n’êtes pas facile à réveiller, le Texan. Je dirais même que vous avez un sommeil de plomb.

Bateman n’était qu’une vague silhouette dans le noir presque total.

– Vous auriez pu allumer la lumière, pour commencer.

– Figurez-vous que j’ai totalement oublié.

Stu alluma la lampe, cligna les yeux comme une chouette et regarda son vieux réveil. Il était trois heures moins le quart.

– Qu’est-ce que vous faites ici, Glen ? Je dormais au cas où vous ne l’auriez pas vu.

Ce n’est que lorsqu’il reposa le réveil sur la table de nuit qu’il le vit vraiment. Le professeur était pâle il avait peur… il avait l’air vieux. De profondes rides creusaient son visage hagard.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– Mère Abigaël…

– Elle est morte ?

– Dieu me pardonne, je souhaiterais presque qu’elle le soit. Elle s’est réveillée. Elle nous demande.

– Nous deux ?

– Nous cinq. Elle… – sa voix était rauque –… elle savait que Nick et Susan étaient morts, que Fran était à l’hôpital.

Comment ? Je n’en sais rien.

– Elle a demandé le comité ?

– Ce qui en reste. Elle est mourante et elle a quelque chose à nous dire. Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de l’entendre.

Dehors, la

nuit était fraîche, froide même. L’anorak que Stu avait sorti du placard était confortable et il remonta la fermeture jusqu’au menton. Au-dessus de lui, la lune glacée lui fit penser à Tom qui devait revenir à la pleine lune pour leur dire ce qu’il avait vu. Mais elle n’était qu’à peine sortie de son premier quartier. Dieu seul savait où elle éclairait Tom, Dayna Jurgens, le juge Farris.

Dieu seul savait quelles choses étranges elle voyait ici.

– Je suis d’abord allé réveiller Ralph, dit Glen. Je lui ai dit de passer à l’hôpital pour amener Fran.

– Si le médecin voulait qu’elle se promène, il l’aurait renvoyée chez elle, répondit Stu d’une voix bourrue.

– C’est un cas particulier, Stu.

– Pour quelqu’un qui n’a pas envie d’entendre ce que la vieille dame veut nous dire, vous avez l’air drôlement pressé d’arriver là-bas.

– Vous faites erreur, je crois.

La jeep s’arrêta

devant la maison de Larry à trois heures dix. Tout était éclairé – plus de lampes à gaz maintenant, mais de bonnes vieilles ampoules électriques. Dans la rue, un lampadaire sur deux brillait aussi, pas simplement ici, mais dans toute la ville, et Stu les avait regardés fixement pendant tout le trajet dans la jeep de Glen, fasciné. Les derniers insectes d’été, engourdis par le froid, se heurtaient paresseusement contre les ampoules à vapeur de sodium.

Au moment où ils descendirent de la jeep, des phares apparurent au coin de la rue. C’était la vieille camionnette bringuebalante de Ralph. Elle s’arrêta à quelques centimètres de la jeep. Ralph sortit et Stu s’avança rapidement vers la portière du côté du passager. Frannie était assise derrière la glace, le dos appuyé contre un coussin de canapé.

– Salut, ma chérie, dit-il d’une voix douce.

Elle lui prit la main. Son visage faisait un ovale pâle dans le noir.

– Tu as très mal ?

– Pas trop. J’ai pris des comprimés. Mais ne me demande pas de danser la gigue.

Stu l’aida à sortir de la camionnette et Ralph lui prit l’autre bras. Ils virent tous les deux la grimace qu’elle fit en se mettant à marcher.

– Tu veux que je te porte ?

– Ça va aller. Mais

tiens-moi par la taille, s’il te plaît.

– Appuie-toi sur moi.

– Et marche doucement. Les vieilles mémés ont du mal à galoper.

Ils traversèrent derrière la camionnette de Ralph si lentement qu’on aurait difficilement pu dire qu’ils marchaient. Lorsqu’ils arrivèrent enfin au trottoir, Stu vit Glen et Larry, debout à l’entrée, qui les regardaient s’approcher. Dans la lumière, on aurait dit des silhouettes découpées dans du papier noir.

– Qu’est-ce qui se passe, d’après vous ? murmura Frannie.

– Je ne sais pas, répondit Stu en secouant la tête.

Ils montèrent sur le trottoir. Frannie souffrait beaucoup maintenant et Ralph aida Stu à la faire entrer. Larry, comme Glen, était pâle et inquiet. Il était vêtu d’un jeans et d’une chemise boutonnée de travers qu’il avait oublié de rentrer dans son pantalon. Il portait des mocassins de très bonne qualité dans lesquels il était pieds nus.

– Je suis vraiment désolé d’avoir dû te faire venir, dit-il. Je somnolais à côté d’elle. Nous la veillons à tour de rôle. Tu comprends ?

– Oui, je comprends, répondit Frannie.

Mystérieusement, ces trois mots, nous la veillons, la firent penser au salon de sa mère… dans une lumière plus douce, plus indulgente qu’autrefois.

– Lucy s’était couchée depuis une heure à peu près. Je me suis réveillé tout d’un coup et – Fran, je peux t’aider ?

Fran secoua la tête et fit un effort pour sourire.

– Non, ça va. Continue.

– … et elle me regardait. Sa voix est très faible mais on la comprend parfaitement.

Larry avala sa salive. Les cinq étaient maintenant debout dans le couloir.

– Elle m’a dit, reprit Larry, que le Seigneur allait l’emporter chez lui au lever du soleil. Mais qu’elle devait d’abord parler à ceux d’entre nous que Dieu n’avait pas emportés. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait dire et elle m’a répondu que Dieu avait emporté Nick et Susan. Elle savait.

Il poussa un étrange soupir et passa sa main dans ses longs cheveux.

Lucy apparut au bout du couloir.

– J’ai fait du café. Servez-vous quand vous voulez.

– Merci, chérie, dit Larry.

Lucy avait l’air indécise.

– Est-ce que je dois venir avec vous ? Ou est-ce que vous devez être seuls, comme pour une réunion du comité ?

Larry lança un regard à Stu.

– Viens, répondit doucement Stu. J’ai l’impression que ça n’a plus d’importance maintenant.

Ils se dirigèrent vers la chambre à coucher, lentement, à cause de Fran.

– Elle va nous dire quoi faire, dit Ralph d’une voix sombre. Mère Abigaël va nous dire. Inutile de nous inquiéter.

Ils entrèrent et les yeux brillants de mère Abigaël se posèrent sur eux.

Fran était au

courant de l’état de la vieille femme mais elle eut cependant un choc. Il ne restait plus d’elle qu’une enveloppe racornie de peau et de tendons qui lui collait aux os. Pas même une odeur de putréfaction et de mort prochaine dans la chambre ; mais plutôt une odeur sèche de vieux grenier… non, une odeur de salon.

La moitié de l’aiguille du goutte-à-goutte sortait de son bras, pour la simple raison qu’elle n’avait pas plus de place pour s’enfoncer.

Les yeux n’avaient pas changé, chauds, aimables humains. Cependant, Fran sentait une sorte de terreur… pas exactement de la peur, mais quelque chose de plus… de plus religieux – un infini respect. Était-ce cela ? L’impression que quelque chose allait se produire. Pas une catastrophe, mais comme si une terrible responsabilité était suspendue au-dessus de leurs têtes, telle une pierre.

L’homme propose… Dieu dispose.

Assieds-toi, ma petite fille, murmura mère Abigaël. Tu souffres beaucoup, à ce que je vois.

Larry la conduisit vers un fauteuil et Fran s’assit en poussant un soupir de soulagement, sachant pourtant qu’elle allait avoir mal au bout de quelques minutes.

Mère Abigaël la regardait toujours de ses yeux brillants.

– C’est pour très bientôt, murmura-t-elle.

– Oui… comment…

– Chhhhut…

Un profond silence tomba dans la chambre. Fascinée, hypnotisée, Fran contemplait la vieille femme qui avait vécu dans leurs rêves avant d’entrer dans leurs vies.

– Regarde par la fenêtre, ma petite fille.

Fran tourna les yeux vers la fenêtre devant laquelle Larry se trouvait deux jours plus tôt observant les personnes rassemblées dans la rue. Ce ne fut pas le noir oppressant qu’elle vit, mais une paisible lumière. Non, ce n’étaient pas les lumières de la chambre qui éclairaient dehors ; c’était la lumière du matin. Elle voyait l’image floué, légèrement déformée, d’une chambre d’enfant avec des rideaux à carreaux un peu froissés. Il y avait un berceau – mais il était vide. Il y avait un parc de bébé – vide. Un mobile fait avec des papillons de plastique de couleurs vives – agité seulement par le vent. L’angoisse posa ses mains glacées sur son cœur. Les autres la virent sur son visage mais ne la comprirent pas ; ils ne virent rien par la fenêtre, à part un carré de gazon éclairé par un lampadaire.

– Où est le bébé ? demanda Fran d’une voix rauque.

– Stuart n’est pas le père du bébé, ma petite fille. Mais sa vie est entre les mains de Stuart, et dans celles de Dieu. Ce petit aura quatre pères. Si Dieu lui permet de respirer.

– De respirer…

– Dieu n’a pas voulu que je sache, murmura-t-elle.

La chambre d’enfant vide avait disparu. Fran ne voyait plus que la noirceur. Et maintenant l’angoisse serrait les poings, écrasait son cœur battant.

– Le démon a appelé sa fiancée et il veut lui donner un enfant. Laissera-t-il ton enfant vivre ? dit mère Abigaël dans un souffle.

– Assez ! gémit Frannie en se cachant la figure dans les mains.

Silence, profond silence comme de la neige épaisse dans la chambre. Glen Bateman fouillait des yeux l’obscurité. Lucy caressait de sa main droite le col de son peignoir. Ralph taquinait distraitement la plume de son chapeau qu’il tenait à la main. Stu regardait Frannie, mais il ne pouvait la rejoindre. Pas maintenant. Un instant, il pensa à cette femme, celle qui s’était furtivement touché les yeux, les oreilles et la bouche à l’assemblée lorsqu’on avait mentionné le nom de l’homme noir.

– Mère, père, épouse, mari, chuchota mère Abigaël. Et dressé contre eux, le Prince des Hauts Lieux, le seigneur des matins sombres. J’ai péché par orgueil. Vous tous avez péché par orgueil. N’avez-vous donc pas entendu qu’il ne fallait pas placer sa foi dans les seigneurs et princes de ce monde ?

Ils la regardaient.

– La lumière électrique n’est pas la réponse, Stu Redman. La radio ne l’est pas non plus, Ralph Brentner. La sociologie ne mènera à rien, Glen Bateman. Te repentir d’une vie qui s’est depuis longtemps refermée comme un livre n’empêchera rien, Larry Underwood. Et ton petit garçon ne l’arrêtera pas non plus, Fran Goldsmith. La mauvaise lune s’est levée. On ne propose rien sous le regard de Dieu.

Elle les regarda tour à tour.

– Dieu disposera comme Il le juge bon. Vous n’êtes pas le potier, mais l’argile du potier. Peut-être l’homme de l’ouest est-il le tour sur lequel vous serez modelés. Je ne suis pas autorisée à le savoir.

Une larme, étonnante dans ce désert de mort, perla au coin de son œil gauche et roula le long de sa joue.

– Mère, qu’est-ce qu’il faut faire ? demanda Ralph.

– Approchez-vous, tous. Je n’ai plus beaucoup de temps. Je m’en vais retrouver la gloire et jamais un être humain n’a été plus prêt que moi aujourd’hui. Approchez-vous.

Ralph s’assit au bord du lit. Larry et Glen restèrent debout tout à côté. Fran se leva en faisant une grimace et Stu lui approcha une chaise pour qu’elle s’installe à côté de Ralph. Elle s’assit et serra la main de Stu dans ses doigts froids.

– Dieu ne vous a pas réunis pour former un comité ou une communauté, dit mère Abigaël. S’il vous a amenés ici, c’est uniquement pour vous envoyer plus loin, pour entreprendre une quête.

Il veut que vous tentiez de détruire ce Prince noir, cet Homme des lieues lointaines.

Un silence pesant. Puis mère Abigaël soupira.

– Je pensais que Nick devait être votre chef, mais Il l’a pris – même s’il reste encore quelque chose de lui, à mon avis. Quelque chose encore. Mais tu dois être le meneur, Stuart, et s’Il veut prendre Stu, alors tu devras mener, Larry. Et s’Il te prend toi aussi, ce sera le tour de Ralph.

– On dirait que je suis la lanterne rouge, commença Glen. Qu’est-ce que vous…

– Mener ? demanda Fran d’une voix glacée. Mener ? Mener où… ?

– À l’ouest, petite fille, répondit mère Abigaël. À l’ouest. Tu ne dois pas y aller. Seulement les quatre que j’ai nommés.

Non ! cria Fran en se levant malgré sa souffrance. Qu’est-ce que vous dites ? Qu’ils doivent tous les quatre se livrer à lui, se remettre entre ses mains ? Le cœur, l’âme et les entrailles de la Zone libre ? Pour qu’il puisse les crucifier et descendre ici l’été prochain tuer tout le monde ? Je ne veux pas que mon homme soit sacrifié à votre Dieu assassin. Qu’Il aille se faire foutre !

Ses yeux lançaient des éclairs.

Frannie ! s’exclama Stu.

– Dieu assassin ! Dieu assassin ! continua Frannie en sifflant comme un serpent. Des millions – peut-être des milliards – morts de la super-grippe. Et ensuite, encore des millions. Nous ne savons même pas si les enfants vont vivre et Il n’en a pas encore assez ? Faut-il que ça continue jusqu’à ce que les rats et les cancrelats deviennent les maîtres de la terre ? Il n’est pas Dieu. C’est un démon, et vous êtes Sa sorcière.

– Arrête, Frannie !

– Comme tu voudras. J’ai terminé de toute façon. Je veux m’en aller. Ramène-moi à la maison, Stu. Pas à l’hôpital, à la maison.

– Nous allons écouter ce qu’elle veut nous dire.

– Très bien. Alors, écoute pour moi aussi. Je m’en vais.

– Petite fille…

Ne m’appelez pas comme ça !

La main de la vieille femme bondit en avant et se referma sur le poignet de Frannie. Fran se figea. Ses yeux se fermèrent. Elle renversa d’un coup la tête en arrière.

– Non… non… OH MON DIEU… STU…

Assez ! Assez !

rugit Stu. Qu’est-ce que vous lui faites ?

Mère Abigaël ne répondit pas. Le moment parut s’éterniser, s’étirer dans une poche d’éternité, puis la vieille femme lâcha la main de Fran.

Lentement, comme hébétée, Fran commença à masser le poignet que mère Abigaël avait pris. Pourtant, on n’y voyait aucune marque rouge, aucune trace de doigts. Soudain les yeux de Frannie s’élargirent.

– Chérie ? demanda Stu, inquiet.

– Parti… murmura Fran.

– Qu’est-ce que… qu’est-ce qu’elle dit ?

Stu regardait autour de lui, comme si les autres avaient pu l’aider à comprendre. Glen ne put que hocher la tête. Son visage était blanc, ses traits tirés.

– La douleur… mon mal de dos.

Parti, dit-elle en regardant Stu, complètement parti. Regarde.

Elle se pencha et se toucha le bout des pieds : une fois, deux fois. Puis elle se pencha une troisième fois et posa ses mains à plat sur le plancher sans fléchir les genoux.

Elle se releva et ses yeux croisèrent ceux de mère Abigaël.

– Votre Dieu essaye de m’acheter ?

Si c’est ça, Il peut reprendre Son cadeau. Je préfère souffrir et garder Stu.

– Dieu n’achète pas les gens, mon enfant, chuchota mère Abigaël. Il se contente de faire un signe et laisse les gens l’interpréter comme ils veulent.

– Stu n’ira pas à l’ouest, répondit Fran.

– Assieds-toi, dit Stu. Écoutons ce qu’elle veut nous dire.

Fran s’assit, ahurie, incrédule, complètement perdue. Ses mains ne pouvaient s’empêcher d’aller palper le creux de ses reins.

– Vous devez vous en aller à l’ouest, murmura mère Abigaël. Sans eau, sans nourriture. Vous devez partir aujourd’hui même, dans les vêtements que vous portez. Vous devez partir à pied.

Je sais que l’un d’entre vous n’arrivera pas à destination, mais j’ignore quel est celui qui tombera. Je sais que les autres seront emmenés devant cet homme, Flagg, qui n’est pas un homme en vérité, mais un être surnaturel. Je ne sais pas si Dieu veut que vous remportiez la victoire. Je ne sais pas si Dieu veut que vous reveniez jamais à Boulder. Il ne m’est pas donné de voir ces choses. Mais il est à Las Vegas, et vous devez aller là-bas, car c’est là-bas qu’aura lieu l’affrontement.

Vous irez, et vous ne craindrez pas, car vous aurez pour vous appuyer le Bras éternel du Seigneur Dieu des armées. Oui. Avec l’aide de Dieu, vous tiendrez bon.

Elle hocha la tête.

– C’est tout. J’ai dit ce que j’avais à dire.

– Non murmura Fran, c’est impossible.

– Mère, dit Glen d’une voix si étranglée qu’il dut se racler la gorge. Mère, nous ne comprenons pas comme vous pouvez comprendre. Nous… nous n’avons pas cette intimité que vous possédez avec ce qui domine ces choses. Nous ne sommes pas faits ainsi. Fran a raison. Si nous allons là-bas, nous serons massacrés, probablement par les premiers gardes que nous rencontrerons.

– N’avez-vous donc pas d’yeux ?

Vous venez de voir que Dieu a guéri Fran de son mal, par mon intermédiaire. Pensez-vous que Son plan soit de vous laisser massacrer par le dernier des laquais du Prince noir ?

– Mère…

– Non, fit-elle en l’interrompant d’un geste de la main. Mon rôle n’est pas de discuter avec vous, ni de vous convaincre, mais seulement de vous aider à comprendre les projets de Dieu. Écoutez, Glen.

– Et, tout à coup, de la bouche de mère Abigaël sortit la voix de Glen Bateman. Fran poussa un petit cri et se colla contre Stu.

– Mère Abigaël l’appelle la créature de Satan, disait cette voix forte et masculine qui montait de quelque part dans la poitrine creuse de la vieille femme et sortait par sa bouche édentée. Peut-être n’est-il que le dernier magicien de la pensée rationnelle, celui qui rassemble les outils de la technologie contre nous. Peut-être est-il bien davantage, bien plus sombre. Je sais seulement qu’il est, et je ne crois plus que la sociologie, que la psychologie ou qu’une autre discipline vienne jamais à bout de lui. Je crois seulement que la magie blanche y parviendra.

Glen était bouche bée.

– Est-ce la vérité, ou ces paroles sont-elles celles d’un menteur ? demanda mère Abigaël.

– Je ne sais pas si c’est la vérité, mais c’est bien ce que j’ai dit, répondit Glen d’une voix tremblante.

– Ayez confiance. Ayez tous confiance. Larry… Ralph… Stu… Glen… Frannie. Surtout toi, Frannie. Ayez confiance… et obéissez à la parole de Dieu.

– Avons-nous vraiment le choix ? demanda Larry d’une voix remplie d’amertume.

Elle se tourna vers lui, surprise.

– Le choix ? Il y a

toujours un choix. Ainsi Dieu a-t-il toujours procédé, ainsi le fera-t-il toujours. Vous conservez votre libre arbitre. Faites comme vous voulez. Vos jambes ne sont pas prises dans les chaînes. Mais… vous savez maintenant ce que Dieu attend de vous.

Ce silence à nouveau, comme de la neige épaisse.

Ralph fut le premier à se décider à parler.

– La Bible raconte que David a fait sa fête à Goliath. Je vais aller là-bas, si vous dites qu’il le faut, mère.

Elle lui prit la main.

– Moi aussi, fit Larry. Moi aussi.

Il soupira et se posa les mains sur le front, comme s’il avait mal. Glen ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais avant qu’il ait eu le temps de parler, un gros soupir monta d’un coin de la chambre, suivi d’un choc sourd.

C’était Lucy. Tout le monde l’avait oubliée. Elle s’était évanouie.

L’aube

effleurait le bout du monde.

Ils étaient assis autour de la table de cuisine de Larry, devant des tasses de café. Il était cinq heures moins dix quand Fran apparut à la porte. Son visage était bouffi par les larmes, mais elle ne boitait plus du tout. Elle était effectivement guérie.

– Je pense qu’elle s’en va, dit Fran.

Ils se rendirent tous dans la chambre. Larry passa son bras autour de la taille de Lucy.

Mère Abigaël respirait avec un affreux bruit creux et liquide qui rappelait la super-grippe. Ils se mirent autour du lit, silencieux, respectueux, effrayés. Ralph était sûr que quelque chose se produirait à la fin qui leur montrerait à tous la puissance de Dieu dans toute sa nudité et sa majesté. Elle s’en irait dans un éclair de lumière, emportée par Lui. Ou ils verraient son esprit, transfiguré, radieux, s’échapper par la fenêtre et monter au ciel.

Mais, en fin de compte, elle ne fit que mourir.

Une dernière respiration, après des millions et des millions. La poitrine de la vieille dame se souleva, s’immobilisa, puis laissa finalement l’air s’échapper. Et elle ne se releva plus.

– C’est fini, murmura Stu.

– Que Dieu ait pitié de son âme, dit Ralph, soulagé.

Il lui croisa les mains sur son ventre si plat et ses larmes tombèrent sur elles.

– Je vais y aller, dit tout à coup Glen. Elle avait raison. La magie blanche. C’est tout ce qu’il reste.

– Stu, murmura Frannie. S’il te plaît, Stu, dis non.

Ils le regardèrent – tous.

Maintenant tu dois être le meneur, Stuart.

Il se souvenait d’Arnette, de la vieille voiture de Charles D. Campion avec son chargement de morts qui culbutait les pompes de Bill Hapscomb comme une malveillante Pandore. Il se souvenait de Denninger et de Deitz, de la manière dont il les avait associés dans son esprit à ces docteurs souriants qui leur avaient menti, menti et menti encore, à lui et à sa femme – et peut-être s’étaient-ils menti aussi à eux-mêmes. Mais surtout, il pensait à Frannie. Et à mère Abigaël : C’est ce que Dieu attend de toi.

Frannie, je dois m’en aller.

– Et mourir.

Elle le regarda avec des yeux lourds d’amertume, presque remplis de haine, puis se tourna vers Lucy comme si elle avait pu l’aider. Mais Lucy était bien loin, incapable de lui être d’aucun secours.

– Si nous n’y allons pas, nous mourrons, dit Stu, en se persuadant lui-même à mesure qu’il parlait. Elle avait raison. Si nous attendons, le printemps viendra. Et ensuite ? Comment pourrons-nous l’arrêter ? Nous ne savons pas. Nous n’en avons pas la moindre idée. Nous nous cachions la tête dans le sable. Nous ne pouvons l’arrêter, sauf comme le dit Glen. Par la magie blanche. Ou la puissance de Dieu.

Elle se mit à pleurer à chaudes larmes.

– Frannie, arrête, je t’en supplie.

Il essaya de lui prendre la main.

– Ne me touche pas ! cria-t-elle.

Tu es mort. Tu es un cadavre, ne me touche pas !

Ils étaient encore autour du lit quand le soleil se leva.

le fléau
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